Traité des bons sentiments Mériam Korichi

Résumé

Que se cache-t-il aujourd'hui derrière l'expression « bons sentiments », résolument péjorative et dépréciative, reflet d'un état d'esprit contemporain qui semble refuser toute place aux émotions et à la sensibilité ? Il est de bon ton, aujourd'hui, de parler à tout propos et pour s'en moquer de « bons sentiments ». Mériam Korichi s'interroge sur les raisons de ce rejet dans le monde des médias, des intellectuels, des historiens, des artistes, notamment. Afin de retracer et de cerner l'origine de ce sens négatif, elle entreprend un voyage dans l'histoire de la langue commune et philosophique : comment en est-on venu à donner à ces mots un sens contraire à ce que, littéralement, ils sembleraient vouloir dire. Le dénigrement systématique des bons sentiments par l'usage courant – aujourd'hui la chose du monde la mieux partagée, de l'homme de la rue à l'Académicien, en passant par l'homme politique et le philosophe – sonne comme une contradiction, un paradoxe que cette enquête stimulante se propose d'examiner, en redonnant sa juste place à la sentimentalité.

Auteur :
Korichi, Mériam
Éditeur :
France, Albin Michel,
Genre :
Essai
Langue :
français.
Mots-clés :
Sujet :
philosophie
Description du livre original :
256 pages
ISBN :
9782226376268.
Domaine public :
Non
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Table des matières

  • Mentions légales
  • CITATIONS
  • Prélude
  • Première Section -Le sens des bons sentiments
    • Paragraphe 1 : Aujourd’hui, les "bons sentiments" sont pris en mauvaise part.
    • Paragraphe 2 : Cet usage est général.
    • Paragraphe 3 : Le sens négatif des bons sentiments est général, mais non universel.
    • Paragraphe 4 : L’usage contemporain est logiquement problématique et met en question la cohérence interne de la définition des bons sentiments.
    • Paragraphe 5 : La prévention contre les bons sentiments est à ce stade énigmatique.
    • Paragraphe 6 : Il y a un sens classique qui s’oppose au sens contemporain.
    • Paragraphe 7 : Il n’y a pas d’intention caractérisée de nuire et de ruiner la réputation des bons sentiments à la période classique, même chez La Rochefoucauld.
    • Paragraphe 8 : Le sens des bons sentiments est évident et positif pour les locuteurs du XVIIe siècle.
    • Paragraphe 9 : La rupture contemporaine avec l’usage de l’âge classique est de ce point de vue spectaculaire.
    • Paragraphe 10 : L’usage contemporain révèle un brouillage de la référence des bons sentiments.
    • Paragraphe 11 : La référence originelle des bons sentiments posant problème, leur sens devient problématique, plurivoque et, bientôt, équivoque.
    • Paragraphe 12 : Les occurrences des bons sentiments à l’âge classique et celles caractérisant la période contemporaine renvoient à des faits de langage distincts.
    • Paragraphe 13 : Le fait de langage classique se caractérise par un jeu de références défini et admis par l’ensemble des locuteurs de la période classique, que l’on trouve conservé dans les textes des auteurs de cette période.
    • Paragraphe 14 : L’évolution de l’usage vers un sens moral des bons sentiments déstabilise leur sens classique (cognitif), en faisant de la valeur axiologique un trait sémantique à part entière de la notion.
    • Paragraphe 15 : Le lien sémantique entre les bons sentiments et le thème de l’amour de l’humanité s’établit dans le cadre d’une évolution discursive de l’usage, déterminée par un horizon d’attente morale, ce lien n’étant pas originaire.
    • Paragraphe 16 : Le thème de l’amour de l’humanité s’impose dans le discours quand la famille lexicale issue du mot "humanitaire" s’impose elle-même dans la langue.
    • Paragraphe 17 : Le champ sémantique "d'humanitarisme" a été systématiquement dévalorisé, en conséquence d’un usage littéraire de la langue.
    • Paragraphe 19 : La signification du sentiment est déstabilisée par la déférence à des hiérarchies de valeurs absolues, négatives ou positives.
    • Paragraphe 20 : À côté des "sentiments sentimentaux" et de l’humanitarisme, le sens des bons sentiments continue cependant de flotter.
    • Paragraphe 21 : L’usage contemporain tranche avec le maniement précautionneux des bons sentiments à l’époque de Flaubert, où l’usage déférait encore aux stéréotypes positifs de l’épithète bon.
    • Paragraphe 22 : Où l’on voit que l’usage implique une certaine valeur d’échange corrélée à un certain consensus ou accord parmi les locuteurs pour dire "bonnes" telles et telles choses, et donc "bons" tels et tels sentiments.
    • Paragraphe 23 : Le consensus ne se fait pas sur la valeur, l’utilité et le sens même de la moralité -car la nature et le fondement de celle-ci suscitent des controverses et non l’unanimité.
    • Paragraphe 24 : L’équivocité de l’épithète bon n’empêche pas que prévale dans son usage un stéréotype moral.
    • Paragraphe 25 : Le stéréotype moral de l’expression bloque la publicité positive des bons sentiments.
    • Paragraphe 26 : La conceptualisation et la systématisation de l’opposition de la Morale et de la Nature, décrites comme deux systèmes ou référentiels distincts d’explication et d’interprétation de l’existence humaine, déterminent l’inflexion sémantique négative des bons sentiments.
    • Paragraphe 27 : Promu pour faire valoir la moralisation des rapports humains originairement brutaux, le thème de l’artificialité des bons sentiments est prolongé et renouvelé par l’usage contemporain, mais comme ce qui incite à nourrir de la suspicion à leur endroit et à les rejeter.
    • Paragraphe 28 : L’usage des bons sentiments dans un sens négatif est aujourd’hui amphibologique, c’est-à-dire que cet usage fait valoir en même temps des assertions contradictoires, tour à tour quasi métaphysiques, quasi éthiques et quasi logiques.
    • Paragraphe 29 : Les bons sentiments sont inassignables : ni naturels, ni moraux.
    • Paragraphe 30 : Aujourd’hui, le spectre sémantique des bons sentiments concentre à la fois les traits négatifs des affections naturelles (émotivité excessive et irrationnelle) et ceux des affections artificielles (sensiblerie, superficialité frivole et exploitable).
    • Paragraphe 31 : Les bons sentiments sont considérés aujourd’hui comme un obstacle épistémologique.
    • Paragraphe 32 : Les bons sentiments voient aujourd’hui leur signification tout à fait mise en question et très affaiblie par leur dévalorisation générale.
    • Paragraphe 33 : L’usage contemporain fait des bons sentiments une chimère.
  • Deuxième Section -Mêlée lexicale et erreur de catégorie
    • Paragraphe 34 : Les bons sentiments renvoient à l’idée de catégorie générale et ils paraissent rassembler une pluralité de sentiments singuliers, auxquels on fait référence comme à des entités individuelles.
    • Paragraphe 35 : Le pluriel des bons sentiments semble faire référence à une pluralité de sentiments singuliers formant un groupe ou un ensemble spécifiques.
    • Paragraphe 36 : "Bon" n’est pas une propriété univoque qui permet de définir les bons sentiments comme un ensemble de sentiments bons.
    • Paragraphe 37 : Le prédicat bon a une valeur discursive pragmatique, mais non épistémique ou représentationnelle.
    • Paragraphe 38 : Les sentiments singuliers auxquels semblent faire référence les bons sentiments, comme la générosité, la sympathie, l’empathie, la solidarité, l’humanité, la fraternité, la compassion, la pitié, la sollicitude, etc., ne se caractérisent pas par une propriété commune ou générique telle la "bonté", conçue comme un élément invariant, identique à lui-même.
    • Paragraphe 39 : Les sentiments singuliers auxquels semblent faire référence les bons sentiments, telles la générosité, la sympathie, l’empathie, la solidarité, l’humanité, la fraternité, la compassion, la pitié, la sollicitude, etc., ne sont ni de simples exemples, ni des exemplaires de bons sentiments, dans la mesure où les bons sentiments ne s’affirment pas comme une catégorie générique.
    • Paragraphe 40 : On peut continuer à supposer que les bons sentiments constituent un ensemble de sentiments particuliers, en faisant l’hypothèse que cet ensemble pourrait être défini en extension s’il ne peut pas l’être en compréhension.
    • Paragraphe 41 : L’expression de bons sentiments est employée dans des contextes faisant référence à des termes affectifs précis ayant comme des airs de parenté, tels "générosité", "émotion", "sympathie", "empathie", "solidarité", "humanitaire", "fraternité", "compassion", "pitié"...
    • Paragraphe 42 : L’air de famille que l’on perçoit entre "générosité", "émotion", "sympathie", "empathie", "solidarité", "humanitaire", "fraternité", "compassion", "pitié", etc., se rapproche de relations synonymiques, compliquées par la formation de sortes de "nuages lexicaux" entraînés par l’emploi de chacun de ces termes, qui perpétuent et intensifient le brouillage conceptuel.
    • Paragraphe 43 : La tentative de distinguer les sens des termes "compassion" et "pitié" en les associant à des signifiés distincts se complique par la convocation d’autres termes pouvant être considérés comme synonymes, qui ne sont pourtant pas exactement interchangeables.
    • Paragraphe 44 : L’intrication lexicale et la confusion sémantique peuvent être telles qu’elles défient toute intention de discrimination et de clarification philosophiques.
    • Paragraphe 45 : Les relations synonymiques impliquent des relations d’arborescence, générant une profusion de mots et de lexiques.
    • Paragraphe 46 : La mêlée lexicale n’a pas de limite.
    • Paragraphe 47 : Les relations de synonymie se prolongent et s’élargissent par des relations d’analogie, qui expliquent à la fois la multiplication des termes et la possibilité de leur regroupement.
    • Paragraphe 48 : Avec une telle profusion lexicale, il est malaisé de distinguer champ sémantique et champ lexical, autrement dit, il est difficile de distinguer le domaine du sens "pur" et le domaine des mots eux-mêmes.
    • Paragraphe 49 : La signification des mots "généraux", qui peuvent renvoyer à une pluralité de particuliers, ne se réduit pas à cette opération logique de catégorisation.
    • Paragraphe 50 : Ni synonymie pure, ni analogie tout à fait claire, ni catégorisation stricte, la relation logique entre les mots qui entretiennent un rapport spécial avec le sens des bons sentiments peut se définir également comme une relation de voisinage.
    • Paragraphe 51 : La relation de voisinage entre les termes conduit à des tentatives de borner des "terrains" pour chaque terme, mais sans que les "droits de passage" inaliénables puissent être éliminés, ce qui rend les relations de voisinage non définitives, sujettes à litiges et destinées à évoluer.
    • Paragraphe 52 : La tentative de distinguer des traits sémantiques, notamment divergents, grâce à l’usage de mots, commande la production lexicale.
    • Paragraphe 53 : Tout espoir de clarté et de distinction sémantiques qui suivraient une logique discrète (disjonctive), que des choix lexicaux pourraient exprimer sans équivoque, est destiné à être déçu.
    • Paragraphe 54 : La logique de disjonction entre les termes de la sensibilité, telles la "compassion" et "l'empathie", ou entre la "commisération" et la "sollicitude", est une construction conceptuelle et non pas langagière.
    • Paragraphe 56 : De nouveaux termes, contrebalançant le poids du préjugé rationaliste et pouvant s’importer d’autres langues, comme "care", continuent d’intensifier toujours la mêlée lexicale.
    • Paragraphe 57 : La mêlée lexicale est produite par un fonctionnement spatial du langage, qui a une visible propension à l’expansion.
    • Paragraphe 58 : La stratégie d’approche disjonctive et dichotomique mène le lexique sur le champ de bataille et dissimule le fonctionnement spatial, local et indéfiniment ouvert du langage.
    • Paragraphe 59 : Le langage, au lieu d’engendrer des divisions réellement tranchées, procède par des sortes de calculs différentiels et produit des zones de sens par nature floues.
    • Paragraphe 60 : Ainsi, la dichotomie entre la joie et la tristesse, qui est un repère classique pour s’orienter dans la pensée des phénomènes affectifs, perd de sa clarté et de sa pertinence confrontée à la logique floue des bons sentiments.
    • Paragraphe 61 : Les bons sentiments, parce qu’ils forment un ensemble flou, sont par nature vagues.
    • Paragraphe 62 : Le sens des bons sentiments ne se tire pas de la référence à des sentiments bien définis et existant hors du champ de la parole ou du discours.
    • Paragraphe 63 : Les bons sentiments sont une notion ouverte projetant la perspective d’une certaine pluralité de sentiments, mais les premiers n’appartiennent pas à la même catégorie que les seconds.
    • Paragraphe 64 : Les bons sentiments sont notionnels, ou encore leur nature est seulement sémantique et logique, mais non "ontologique".
    • Paragraphe 65 : Les bons sentiments sont et ne sont pas des sentiments.
    • Paragraphe 66 : Les bons sentiments sont des mots auxquels on défère, même si le sens est flou et indéterminé.
    • Paragraphe 67 : Ce que nous communiquons et véhiculons par les mots a plus de contenu que ce que nous pensons en réalité.
  • Troisième Section -L’imagerie des bons sentiments
    • Paragraphe 68 : Les bons sentiments sont des images.
    • Paragraphe 69 : Les bons sentiments sont considérés comme des clichés.
    • Paragraphe 70 : Les bons sentiments, parce qu’ils sont considérés comme des clichés, sont réputés faciles et sans valeur.
    • Paragraphe 71 : Dire qu’une chose n’a pas de valeur parce qu’elle est facile n’a pas de sens.
    • Paragraphe 72 : Les bons sentiments, parce qu’ils peuvent être considérés comme des clichés, sont réputés médiocres et sont, pour cette raison, tenus en mauvaise part.
    • Paragraphe 73 : Les images médiatiques, dont les caractéristiques essentielles sont d’être profuses, omniprésentes et ubiquitaires, médiatisent la sensibilité humaine.
    • Paragraphe 74 : Les bons sentiments sont des produits médiatiques.
    • Paragraphe 75 : Les bons sentiments entretiennent une sensibilité virtuelle.
    • Paragraphe 76 : Les bons sentiments présentent l’image d’une sensibilité humaine neutre et bienveillante, douce, c’est-à-dire sans agressivité.
    • Paragraphe 77 : L’endurcissement affectif moderne fait place au phénomène contemporain d’attendrissement de la sensibilité humaine.
    • Paragraphe 78 : Les images expriment une puissance d’imaginer commune.
    • Paragraphe 79 : Les bons sentiments impliquent un sens de la multitude, sens qui ne peut être qu’imagé ou n’être affirmé que par image.
    • Paragraphe 80 : La banalité des bons sentiments est de même nature que la banalité de la vie ordinaire humaine.
    • Paragraphe 81 : La contemplation des images se distingue de la reconnaissance de leurs motifs et n’a pas pour finalité cette reconnaissance.
    • Paragraphe 82 : L’ontogenèse de l’image est un processus affectif, qui n’est pas causé par ce qu’elle représente.
    • Paragraphe 83 : L’image crée un rapport de dépendance affective, qu’instrumentalisa historiquement l’imagerie chrétienne.
    • Paragraphe 84 : L’imagerie iconique ménage un passage de la piété à la pitié, autrement dit à une affectivité qui ne suppose pas de transcendance.
    • Paragraphe 85 : Le travail des images produit la différence entre la piété et la pitié, c’est-à-dire entre la représentation et l’émotion.
    • Paragraphe 86 : L’image crée un moment de fusion affective dont le sens est suspendu.
    • Paragraphe 87 : L’imagerie iconique chrétienne a confisqué le sens de l’effusion pathétique, en l’indexant à la thématique doctrinale de la souffrance humaine identifiée à la misère de l’homme sans Dieu.
    • Paragraphe 88 : L’iconographie doloriste a surdéterminé la signification des larmes, les réduisant à être des signes univoques de la misère humaine.
    • Paragraphe 89 : Les larmes sont considérées, à tort, comme des signes univoques de tristesse et de faiblesse.
    • Paragraphe 90 : Les larmes révèlent un point de contact, un moment de fusion sympathique entre des individus divers.
    • Paragraphe 91 : La signification des bons sentiments provient aujour-d’hui de la profusion d’images brouillant les dichotomies entre l’intériorité et l’extériorité, le public et l’intime, le proche et le lointain, l’étranger et le familier.
    • Paragraphe 92 : Les larmes sont rejetées par ceux qui valorisent l’endurcissement affectif.
    • Paragraphe 93 : L’endurcissement renvoie d’abord à une imagerie biblique.
    • Paragraphe 94 : Les bons sentiments relaient verbalement une imagerie larmoyante et fusionnelle de l’humanité, pathétique mais non pas tragique, allant à l’encontre des partitions tranchées entre le héros et la foule, l’exceptionnel et l’ordinaire, la singularité et la multitude.
    • Paragraphe 95 : L’imagerie des bons sentiments met en avant une vision positive de la multitude humaine, autrement dit, du plus grand nombre.
    • Paragraphe 96 : L’imagerie des bons sentiments s’oppose à une autre imagerie de la foule qui la réduit à une masse indistincte et dangereuse.
    • Paragraphe 97 : L’imagerie des bons sentiments est pacifiste.
    • Paragraphe 98 : Les bons sentiments correspondent à une mise en image du monde, offrant une alternative réelle à la conscience malheureuse des vicissitudes de l’Histoire.
    • Paragraphe 99 : L’imagerie pacifique et pacifiste, bienveillante et sentimentale, donne un contenu visionnaire aux bons sentiments, qui a une force d’affirmation sensible bien plus puissante que le sens construit par les discours critiques qui déstabilisent depuis plus d’un siècle la signification des bons sentiments.
  • Épilogue
  • Références bibliographiques
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