Dictionnaire amoureux de la Diplomatie Daniel Jouanneau

Résumé

"Les questions internationales intéressent beaucoup, les médias consacrent à la politique étrangère la place qu'elle mérite, mais l'opinion connait souvent mal le rôle de ceux qui la mettent en oeuvre : les diplomates. Les préjugés ont la vie dure, les interrogations sont récurrentes et parfois teintées d'ironie. Les images se superposent : le cynisme de Talleyrand, l'art de l'esquive et du non-dit, la tasse de thé de l'ambassadeur, les réceptions dans de belles résidences, bref un monde à part, vivant dans l'entre soi, superficiel, et surtout de moins en moins utile puisque chefs d'Etat et ministres se téléphonent en permanence, et que l'international n'est plus depuis longtemps l'apanage des spécialistes. Rien n'est plus faux. Diplomate, c'est un vrai métier, un métier de professionnels, un métier d'action, exercé par des hommes et des femmes fiers de servir l'Etat, passionnés et engagés. Leurs missions sont multiples. A travers les grands personnages qui ont marqué l'histoire de la politique étrangère - pas seulement la nôtre - et par une présentation des lieux et des moyens de la diplomatie d'aujourd'hui, ce livre présente les différentes facettes de ce très beau métier. J'ai été un diplomate heureux et j'explique pourquoi" Daniel Jouanneau.

Auteur :
Jouanneau, Daniel
Éditeur :
Paris, Plon,
Genre :
Dictionnaire
Langue :
français.
Description du livre original :
1 vol. (911 p.)
ISBN :
9782259252720.
Domaine public :
Non
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Table des matières

  • A
  • B
    • Barrère, Camille
    • Beaumarchais, Pierre-Augustin Caron de
    • Berthelot, Philippe
    • Bismarck, Otto von
      • Florilège :
    • Boutros-Ghali, Boutros
    • Briand, Aristide
    • Broglie, Charles de
    • Broglie, Victor et Albert, ducs de
    • Brunner, Edouard
  • C
    • COP21
    • Couve de Murville, Maurice
    • Culture
  • D
  • E
  • F
  • G
  • H
  • I
  • J
  • K
    • Kissinger, Henry
    • Heinz Alfred Kissinger est né en 1923 dans une petite ville du nord de la Bavière, Fürth, qui avait accueilli au XIVe siècle les juifs chassés de Nuremberg. Il est issu d’une famille d’enseignants, pratiquante mais antisioniste. Lorsqu’il a dix ans, Hitler devient chancelier, le parti nazi est la seule formation politique autorisée, il n’y a plus de séparation des pouvoirs, la république de Weimar n’existe plus. Les mesures antijuives ne tardent pas. Son père, Louis Kissinger, est démis de son poste de professeur de lycée. Heinz est à son tour chassé du sien. Douze membres de la famille Kissinger mourront en déportation.
    • En 1938, les parents de Heinz décident de partir pour les États-Unis avec leurs deux fils, et trouvent refuge à New York, dans le quartier juif de Washington Heights où les réfugiés allemands, autrichiens, hongrois, sont nombreux. Son père se reconvertit en comptable. Sa mère cuisine des recettes d’Europe centrale pour des réceptions privées. Heinz fait de bonnes études secondaires, s’inscrit au New York City College, suit des cours du soir de comptabilité, travaille comme livreur dans une fabrique de blaireaux.
    • En 1943, il est naturalisé américain sous le prénom de Henry, accomplit ses obligations militaires en Caroline du Sud et suit une formation d’ingénieur de l’armement en Pennsylvanie.
    • En septembre 1944, la 84e division est engagée sur le front européen et Henry Kissinger participe aux combats autour d’Aix-la-Chapelle. En janvier 1945, à vingt-deux ans, il est nommé administrateur militaire d’une ville de 200 000 habitants, Krefeld, en Rhénanie-Westphalie. Sa mission : dénazifier. Il supprime tous les symboles nazis et met en place une nouvelle administration civile. Il prend ensuite, à Hanovre puis dans le Land de Hesse, la tête d’une équipe chargée de rechercher les officiers de la Gestapo. Alors qu’il possède l’autorité et les pouvoirs nécessaires pour procéder à des arrestations immédiates, il prend toujours soin de ne pas en abuser et de ménager la population locale.
    • Aux juifs orthodoxes américains qui, plus tard, lui reprocheront cette indulgence, il répondra : « Je suis contre l’esprit de vengeance. Ma famille n’a pas toujours été en accord avec moi. Je pense que si la discrimination raciale a été néfaste aux juifs allemands, elle a aussi été négative pour l’ensemble des Allemands. On ne peut pas jeter le blâme sur un peuple tout entier. » Dans sa thèse sur Le Chemin de la paix, Kissinger posera en axiome que la preuve d’une paix réussie est la réconciliation totale avec l’ancien ennemi.
    • En 1946, Kissinger reste en Allemagne et devient instructeur à l’École des services de renseignements américains, l’Office of Strategic Services (OSS, précurseur de la CIA). En 1947, il regagne les États-Unis pour s’inscrire à Harvard, comme « vétéran », au département d’administration publique. Il présente en 1950 un mémoire de deuxième cycle intitulé « The Meaning of History ».
    • En pleine guerre froide, Harvard crée un centre de recherche sur la Russie, que rejoignent d’anciens membres de l’OSS et des dissidents réfugiés politiques d’Europe centrale. La star du centre est George Kennan, qui préconise « l’endiguement, avec patience et fermeté, de l’expansionnisme soviétique ». Avec William Elliott, Kissinger crée le séminaire international de Harvard, qui réunit chaque année, pendant huit semaines, de jeunes dirigeants ou futurs dirigeants européens, et des intervenants américains de haut vol, pour un programme sur la politique et la culture américaines. « À l’heure du plan Marshall et du traité atlantique, dit Kissinger, l’objectif reste de souder les générations émergentes des deux continents, de leur donner une conscience internationale commune. » Le réseau est ensuite étendu à des participants d’autres continents. Valéry Giscard d’Estaing et Pierre Elliott Trudeau font partie des premiers lauréats de ce programme.
    • Kissinger crée aussi, et dirigera pendant dix-huit ans, une revue trimestrielle, Confluence, destinée à se faire rencontrer les cultures européenne et américaine, et à laquelle contribuent, côté européen, Karl Jaspers, Moravia, Malraux, Bertrand de Jouvenel.
    • À partir d’une remarquable connaissance de l’histoire, il porte de plus en plus ses réflexions sur les relations internationales. Comment organiser un ordre international stable à partir d’États souverains, souvent rivaux, qui ne reconnaissent pas d’autorité supérieure à la leur, et s’arrogèrent longtemps un droit illimité à recourir à la force ? Pour Kissinger, la réponse passe par le respect d’un équilibre des forces, et la mise en place d’un « concert » entre les puissances, autour de règles du jeu communes. Sous le titre « A world restored », il consacre en 1954 sa thèse de doctorat au congrès de Vienne et à la Sainte-Alliance. Il est alors recruté par le Council on Foreign Relations, think tank bipartisan, créé en 1921 et déjà très influent, pour être le rapporteur d’une étude sur les défis de l’ère nucléaire. Le livre qui en résulte défend le concept de guerre nucléaire limitée, associée à une négociation sur le contrôle des armements, approche opposée à la stratégie des représailles massives qui a cours à Washington. « L’équilibre des puissances, et non la paix, est l’objectif de tout homme d’État qui doit être pragmatique et réaliste, et prêt au compromis en évitant des objectifs idéologiques. »
    • Lorsque John F. Kennedy, élu président des États-Unis, constitue à la Maison Blanche une équipe chargée de le conseiller sur les questions internationales, il fait appel à deux universitaires de Harvard, McGeorge Bundy et Arthur Schlesinger, lequel lui présente Kissinger. En 1961, celui-ci entre au Conseil national de sécurité pour suivre les questions allemandes, en pleine crise de Berlin. Il suggère une très vigoureuse réponse militaire à la construction du Mur. Mais il n’est pas suivi, se trouve marginalisé, et finalement acculé à la démission au bout de huit mois.
    • Kissinger regagne Harvard. Il écrit beaucoup d’articles, ainsi qu’un livre, sur les « malentendus transatlantiques ». « Le jour viendra où nous considérerons l’autonomie partielle de l’Europe comme une bénédiction et non comme un fait irritant. » Il tient au début des propos sévères sur Kennedy et « sa coterie qui se caractérise par son manque de sérieux ». Il changera complètement d’avis à l’automne 1962, devant la fermeté et le sang-froid dont fait preuve le jeune président dans la gestion de la crise de Cuba. « Le président Kennedy a saisi avec audace une occasion qui n’a été offerte qu’à peu d’hommes d’État : changer le cours des événements par un acte spectaculaire. Son action a mené beaucoup plus loin que le but immédiat qu’elle se proposait, c’est-à-dire le démantèlement des bases de lancement de fusées soviétiques à Cuba. Elle a eu pour résultat de faire voler en éclats le mythe selon lequel, dans toutes les situations, les Soviétiques sont prêts à courir de plus grands risques que nous. »
    • Sur la proposition de l’ambassadeur des États-Unis à Saïgon, John Cabot Lodge, Kissinger est nommé en 1965 conseiller au Département d’État pour suivre le dossier vietnamien. Il rapporte de deux missions au Sud-Vietnam un diagnostic sans appel : les États-Unis soutiennent depuis 1961 un régime très corrompu et discrédité, et le Vietcong ne cesse de gagner du terrain dans les zones rurales. La politique de fuite en avant militaire (658 conseillers américains lorsque Kennedy accède à la Maison Blanche, plus de 500 000 soldats sous la présidence de Lyndon Johnson) est un échec complet, mais un retrait militaire américain n’est pas envisageable : le crédit des États-Unis s’effondrerait auprès de leurs alliés de la région. La seule solution est donc de négocier. Kissinger établit des contacts secrets avec Hô Chi Minh, par l’intermédiaire d’un grand résistant français, Raymond Aubrac, très proche du fondateur du Parti communiste vietnamien. Il lui propose un arrêt des bombardements américains sur le Nord-Vietnam contre une suspension de l’aide militaire de celui-ci au Vietcong. Hô Chi Minh refuse. Il veut un arrêt inconditionnel des bombardements.
    • Après avoir fait partie de l’équipe de Nelson Rockefeller lorsque celui-ci tente sans succès, à trois reprises, d’obtenir l’investiture du Parti républicain pour les présidentielles (1960, 1964, 1968), Kissinger est nommé par Richard Nixon président du Conseil de sécurité nationale, au cœur du débat très difficile, au plus haut niveau de l’État, sur la meilleure façon de se désengager du bourbier vietnamien. Kissinger prévoyait dès 1966 que cette guerre ne mènerait qu’à un désastre et que seule une solution diplomatique, impliquant le Vietcong, permettrait d’y mettre un terme. Le conflit ne prendra fin qu’avec la signature des accords de Paris, le 23 janvier 1973, qui annoncent le retrait américain du Vietnam. Pour Kissinger, la consécration vient avec le prix Nobel de la paix. Il le reçoit conjointement avec le négociateur nord-vietnamien Lê Đức Thọ, qui le décline car, selon lui, « la paix n’a pas réellement été établie ». Le régime sud-vietnamien s’effondrera deux ans plus tard.
    • Ce prix Nobel est très controversé : comment peut-on récompenser d’une manière aussi éclatante un très haut responsable qui joua un rôle de premier plan dans la décision américaine de bombarder le Nord-Vietnam, mais aussi le Cambodge pour tarir l’approvisionnement des communistes vietnamiens et détruire l’infrastructure naissante des communistes cambodgiens ? Pour Françoise Giroud, dans L’Express, c’est plutôt « un prix Nobel de l’humour noir ».
    • Revenant plus tard sur le conflit vietnamien, Kissinger écrira : « Nous menions une guerre militaire, nos adversaires menaient une guerre politique. Nous recherchions leur épuisement physique, ils voulaient notre épuisement psychologique. En cours de route, nous avons oublié l’une des maximes cardinales d’une guérilla : la guérilla gagne si elle ne perd pas. L’armée conventionnelle perd si elle ne gagne pas. Les Nord-Vietnamiens ont utilisé leurs forces armées comme un toréador utilise sa cape, pour nous confiner dans des espaces d’importance politique marginale. »
    • Mais le grand succès, incontesté, d’Henry Kissinger, sera le rapprochement des États-Unis avec la Chine. Le conflit sino-soviétique le convainc de la menace que fait peser sur l’ordre international une Chine devenue puissance nucléaire et ostracisée par l’Occident. Pour Kissinger, le moment était venu de « présenter à notre peuple une vision de paix susceptible de transcender les épreuves de la guerre du Vietnam et les perspectives inquiétantes de la guerre froide. Bien qu’en théorie alliée de l’Union soviétique, la Chine était à la recherche d’une marge de manœuvre qui lui permettrait de résister à une attaque venant de Moscou ».
    • Des canaux très confidentiels sont ouverts pour négocier avec Pékin, contre l’avis des spécialistes de l’URSS au Département d’État, qui considèrent chaque pas vers Pékin comme une atteinte irresponsable à la politique de dialogue avec Moscou. Varsovie est le lieu des rencontres directes entre diplomates américains et chinois. Deux autres canaux de dialogue s’établissent en Roumanie et au Pakistan, où Ceauşescu et Yahya Khan ont de bonnes relations avec Pékin. Zhou Enlai se dit prêt à recevoir un envoyé spécial américain, et Nixon désigne Kissinger. Kissinger baptise cette mission « Polo I », en souvenir du voyage en Chine de Marco Polo. Elle est organisée avec la complicité des autorités pakistanaises. Sous couvert d’une escale à Islamabad, Kissinger rejoint Pékin à bord d’un avion gouvernemental pakistanais.
    • Les très longs entretiens de Kissinger avec le Premier ministre chinois créent un climat de confiance permettant l’annonce d’une visite officielle de Richard Nixon en Chine au printemps 1972. Alors que Zhou Enlai a déjà donné son accord au principe de cette visite, et que leurs collaborateurs ont négocié toute la nuit, « nous n’avons pas réussi, écrit Henry Kissinger dans On China, à mettre au point le communiqué à cause d’une impasse sur un point précis : il s’agissait de préciser qui avait invité qui. Chaque camp souhaitait donner l’impression que le plus empressé des deux était l’autre. Nous avons fini par couper la poire en deux. Mais le texte devait être approuvé par Mao, lequel était allé se coucher. Mao donna finalement son accord à une formule indiquant que Zhou Enlai, “informé du désir exprimé par le président Nixon de se rendre en Chine, lui avait transmis une invitation que Nixon avait acceptée avec plaisir” ».
    • À son retour à Washington, Kissinger est une star. Il est encensé par la presse américaine, fait la une de Time et de Newsweek. L’universitaire un peu austère de Harvard est devenu une personnalité très en vue et très sollicitée.
    • La visite de Richard Nixon à Pékin (février 1972) est préparée par Kissinger avec un soin extrême. Il a lu les essais de tous les principaux experts américains et étrangers de la Chine, et même invité André Malraux à la Maison Blanche. Le témoignage de l’ancien ministre du général de Gaulle date un peu, car son voyage à Pékin remonte à dix ans, mais Kissinger reconnaît : « Ses analyses étaient peut-être en avance sur nous. Peut-être sommes-nous encore trop prisonniers de lieux communs, de stéréotypes sur la Chine pour apprécier tout ce que nous apportent la sensibilité, la perception, l’intelligence de l’écrivain français. Son intuition est peut-être supérieure à la documentation accumulée par nos services de renseignements. Retenons son affirmation, tellement surprenante en cette fin de Révolution culturelle : les Chinois sont indifférents aux idéologies, seules compteraient pour eux la Chine, son unité, sa gloire, sa dignité, son salut économique. »
    • Kissinger accompagne Nixon chez Mao. « Le bureau de Mao était une pièce aux dimensions modestes, dont trois murs étaient couverts d’étagères remplies de manuscrits dans un désordre effroyable. Des livres s’empilaient sur les tables et sur le sol. Un lit de bois tout simple se dressait dans un angle. Le dirigeant tout-puissant du pays le plus peuplé du monde cherchait à donner l’image d’un roi philosophe, qui n’avait pas besoin d’étayer son autorité par des symboles traditionnels de majesté. Mao avait du mal à se déplacer mais, surmontant ses infirmités, il dégageait une impression de volonté et de détermination peu communes. Il prit les deux mains de Nixon entre les siennes et lui adressa son sourire le plus bienveillant. Ce cliché fut publié dans tous les journaux chinois. Les Chinois avaient l’art d’utiliser les photographies de Mao pour communiquer un climat et une orientation politiques. Quand il avait l’air renfrogné, l’orage approchait. Quand on le montrait agitant l’index devant un visiteur, cela exprimait les réserves d’un professeur plutôt indulgent. Le style de conversation de Mao était badin et elliptique. La plupart des dirigeants politiques présentent leurs idées sous forme d’une liste de points essentiels. Mao avançait les siennes de façon socratique. Il commençait par une question ou une observation, invitant à un commentaire en réponse. Il poursuivait alors par une autre observation. Cet enchaînement de remarques caustiques, de réflexions et d’interrogations, laissait émerger une orientation, mais rarement un engagement ferme. » Kissinger raconte que, dans la conversation, Mao révèle à Nixon qu’il a « voté pour lui », car il préfère traiter avec des dirigeants de droite, qu’il estime le plus dignes de confiance.
    • Kissinger est fasciné par Mao : « Je n’ai jamais senti une telle densité de volonté concentrée, sauf peut-être chez Charles de Gaulle. Ses phrases étaient comme des ombres fugaces sur un mur. Mao proférait des maximes qui prenaient l’auditeur par surprise et créaient une atmosphère à la fois confiante et légèrement menaçante. C’était comme si l’on avait affaire à une personnalité d’un autre monde qui soulevait un coin du voile cachant l’avenir, permettant un aperçu, mais jamais la vision entière que lui seul avait eue. »
    • La visite de Nixon à Pékin marque un tournant majeur. C’est la fin de l’ordre bipolaire créé par Yalta. Une alliance de revers sino-américaine est mise en place contre l’URSS. La déclassification des comptes rendus des entretiens de Kissinger avec les dirigeants chinois pendant la visite présidentielle a révélé qu’il leur avait fourni des informations très précises sur les forces soviétiques stationnées autour de la Chine.
    • Le rôle de Kissinger est également central dans la préparation du sommet Nixon-Brejnev (mai 1972), première visite d’un président américain à Moscou depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
    • En 1973, Nixon officialise la place que Kissinger a prise dans la conception et la mise en œuvre de la politique étrangère des États-Unis en le nommant secrétaire d’État, après la démission de William Rogers, auquel Kissinger a infligé bien des couleuvres.
    • La confirmation par le Sénat est massive, mais les auditions par la commission des Affaires étrangères n’ont pas ménagé Kissinger. Le sénateur William Fulbright a dénoncé « les politiques élaborées en secret par la seule volonté de l’exécutif, politiques qui choquent notre sensibilité nationale ». Kissinger a droit à un interrogatoire serré, en partie à huis clos, sur les bombardements secrets du Cambodge, sur le coup d’État de Pinochet au Chili, sur les écoutes téléphoniques du Watergate.
    • Kissinger joue un rôle efficace de médiateur après la guerre d’octobre 1973 entre l’Égypte et la Syrie d’une part, Israël d’autre part. « Je ne pourrais contribuer à résoudre le problème du Proche-Orient que si les événements prenaient un tour dramatique. Ce n’est qu’à chaud qu’on peut évaluer correctement le rapport des forces nationales et internationales. » Il déclare à Nahum Goldmann, président du Congrès juif mondial : « Dites à vos alliés que les États-Unis sont certes décidés à défendre l’existence et la sécurité de l’État d’Israël, mais non ses conquêtes et ses annexes. Dites-leur que nous n’allons pas liquider les intérêts américains au Proche-Orient pour quelques lopins de terre qu’ils se seraient attribués. » Le secrétaire d’État obtient l’accord déterminant de l’URSS qui permet le vote sans veto, par le Conseil de sécurité, de la résolution ordonnant le cessez-le-feu et mettant en place une force d’interposition des Nations unies pour le garantir. Pour Henry Kissinger, « le conflit israélo-arabe est un conflit local qui est devenu régional puis international. Ma seule ambition est de le faire redescendre au niveau régional puis local. Quant à le résoudre au fond, personne n’y parviendra jamais ».
    • Kissinger a justifié son soutien à Nixon lorsqu’il se représenta pour un second mandat : « À l’université, comme tous mes collègues, je le considérais comme un adversaire. J’entretenais certaines idées à son sujet, mais elles étaient fausses. Le président est très différent de l’image que les universitaires ont de lui. En réalité, il a un sens aigu de l’analyse, mais avec des manières très douces, fort éloignées de la brutalité que je lui attribuais. C’est un grand mot, mais il y a quelque chose d’héroïque dans sa façon de gérer les affaires internationales. Son impact sur la politique étrangère sera historique, quoi qu’il arrive. »
    • Lorsque Nixon doit démissionner à la suite du scandale du Watergate, Kissinger, épargné par le scandale, est maintenu à son poste par Gerald Ford. Dans la campagne présidentielle de 1976, qui oppose le président sortant à Jimmy Carter, la politique de Kissinger est sévèrement mise en cause par le candidat démocrate. La politique de Kissinger n’a pas de dimension morale, elle se désintéresse des droits de l’homme ? Kissinger répond que, grâce à ses négociations avec Moscou, un nombre croissant de juifs soviétiques ont été autorisés à émigrer. En 1976, il a réussi à convaincre l’Afrique du Sud de l’apartheid de faire pression sur Ian Smith, qui maintient en Rhodésie un régime minoritaire blanc et raciste, et celui-ci engage le long mais irréversible processus de concessions à la majorité noire qui aboutira quatre ans plus tard à l’indépendance du Zimbabwe. La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et l’Acte d’Helsinki reconnaissent le statu quo territorial en Europe et donc la tutelle politique de l’URSS sur l’Europe centrale et orientale ? Certes, mais la « troisième corbeille » de la conférence, sur la liberté de circulation et d’information, allait donner plus de liberté aux citoyens de ces pays.
    • Après la victoire de Carter, Kissinger quitte Washington et s’installe à New York. Il se consacre à l’écriture de ses mémoires, enseigne à Georgetown University, écrit chaque mois pour le Los Angeles Times et participe régulièrement à des émissions télévisées. Son retour en politique fut envisagé à plusieurs reprises, mais ne se concrétisa pas. Kissinger soutiendra cependant le candidat Ronald Reagan et lui apportera l’appui d’une part importante de son réseau universitaire et des think tanks, au nom du new leadership que les États-Unis doivent retrouver face à l’Union soviétique.
    • Kissinger n’exerce plus depuis longtemps de responsabilité publique, mais il reste un consultant particulièrement écouté, aux États-Unis et dans le monde entier, pas seulement sur les questions concernant la Russie et la Chine. Il siège dans les enceintes d’influence que sont le club Bilderberg, la Commission trilatérale et l’Aspen Institute.
    • Il a su reconnaître ses erreurs. Lorsque les négociations sur le Vietnam entre Washington et Hanoï étaient sur le point d’aboutir, il a admis avoir sous-estimé le pouvoir de nuisance et de blocage du Sud-Vietnam. Après la mort de Nasser, il a imprudemment déclaré : « Sadate n’aura qu’une importance temporaire, de quelques semaines au maximum. » Il avouera plus tard « une grossière erreur de jugement » alors que l’expulsion de quinze mille conseillers militaires soviétiques faisait de l’Égypte un pays pivot pour la politique des États-Unis au Moyen-Orient.
    • Fin 1973, faisant le bilan de l’année écoulée, il distribue les bons et les mauvais points, vante les bonnes perspectives de rapprochement avec l’URSS, mais réprimande les Européens, qu’il somme de choisir : « À eux de décider de se complaire dans des débats théologiques sur la construction politique occidentale ou de s’arrimer fermement au camp atlantique. » C’est un tollé en Europe. Il regrettera ses propos avec humour : « J’ai l’impression qu’au cours de cette semaine, j’ai plus fait pour l’unification européenne que n’importe quel autre homme depuis Jean Monnet. »
    • Kissinger a toujours attaché beaucoup d’importance à la France et à son rôle dans le monde. Il partageait avec Nixon une même admiration pour le général de Gaulle. Dans une interview au Figaro, il déclarait en 2009 :
    • « La France est l’un des très rares pays à avoir toujours eu une pensée stratégique globale, appuyée sur son cartésianisme naturel. J’ai énormément d’admiration pour le général de Gaulle, même si je n’ai pas toujours été forcément d’accord avec les options stratégiques qu’il a prises. Le monde en général, et l’Amérique en particulier, auront toujours besoin de la voix d’une France qui s’exprime de manière libre, indépendante et cartésienne. »
    • Henry Kissinger est célèbre pour son humour.
    • Après le sommet Nixon-Brejnev de Moscou, il est prévu que la délégation américaine se rende à Kiev à bord d’un avion gouvernemental soviétique. Mais un réacteur est en panne et l’avion ne démarre pas. Le président Podgorny et le Premier ministre Kossyguine présentent leurs excuses. Kissinger, pour mettre ses hôtes à l’aise, invente une « loi de la malfaisance des objets ».
    • Kissinger : « Si vous faites tomber un morceau de pain beurré sur un tapis neuf, les chances qu’il tombe la face beurrée sur le tapis sont en relation directe avec le prix du tapis. »
    • Podgorny ne saisit pas la plaisanterie.
    • Kissinger : « Si vous faites tomber une pièce de monnaie sur le sol, les chances qu’elle roule loin de vous et vous échappe sont en relation directe avec la valeur de la pièce. »
    • Podgorny : « Non, dans mon cas, les pièces roulent toujours vers moi. »
    • Cet humour, il le pratique aussi à l’égard de lui-même.
      • Florilège :
  • L
  • M
    • Machiavel
      • Florilège :
    • Marine nationale
    • Mazarin
    • Metternich, Klemens Wenzel von
    • Ministres des Affaires étrangères
    • Monnet, Jean
    • Morand, Paul
  • N
  • O
  • P
  • Q
  • R
  • S
    • Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de
    • Sant’Egidio
    • Schuman, Robert
    • Secret du Roi
    • Secrétaire général
    • Soames, Christopher
    • Spaak, Paul-Henri
    • Sports
    • Stendhal (Henri Beyle)
    • Strasbourg
    • Sykes-Picot, accord
  • T
    • Talleyrand, Charles-Maurice de
      • Florilège
    • Tasse de thé
    • Tauran, cardinal
    • Telli, Diallo
    • Think tanks
    • Tocqueville, Alexis de
      • Florilège
    • Tuéni, Ghassan
  • U
    • Union européenne
  • V
    • Valise
    • Vergennes, Charles Gravier, chevalier de
    • Vieira de Mello, Sergio
    • Vivant Denon
  • W
    • Westphalie, traité de
  • X
    • X : diplomates polytechniciens
  • Y
    • Yersin, Alexandre
  • Z
  • Remerciements

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