Comment devient-on tortionnaire ? : Psychologie des criminels contre l'humanité Françoise Sironi

Résumé

On est d’abord submergé d’épouvante. Duch, chef du camp S-21 au Cambodge à l’époque des Khmers rouges, est responsable de la torture et de la mort dans des conditions atroces de plus de 13 000 personnes. Et pourtant, il faut aller au-delà de la sidération pour comprendre ce qui s’est joué entre un individu ne souffrant d’aucune pathologie mentale et un régime responsable de la mort de deux millions de personnes sur une population totale de sept. C’est le travail auquel s’est livré Françoise Sironi, chargée de l’expertise psychologique de Duch au cours de son procès à Phnom Penh. Depuis vingt-cinq ans, elle soigne des patients victimes de tortures, de massacres, de déportations forcées, de crimes de masse. Mais il ne suffit pas de prendre en charge les victimes, il faut aussi comprendre la fabrication des bourreaux, « entrer dans leur tête ». Comment sont-ils devenus des êtres « désempathiques », déshumanisés, capables du pire ? Pour cela, la psychologie doit se réinventer, se situer à l’intersection de la vie psychique et de la géopolitique. Les Khmers rouges avaient créé l’Angkar, une organisation mystérieuse que chacun devait servir et que l’on nourrissait de sacrifices humains. C’était un « système perpétuel », une théopathie sacrificielle s’épurant en permanence. Pour déconstruire la mécanique d’un système à la fois psychique, politique et social, Françoise Sironi, grâce aux ressources de la psychologie géopolitique clinique, de l’ethnopsychiatrie et de la schizo-analyse, aux travaux d’Hannah Arendt, de Georges Devereux, Tobie Nathan ou Gilles Deleuze et Félix Guattari, nous donne de nouveaux outils non seulement pour comprendre comment l’impensable est arrivé, mais aussi comment déjouer les projets des futurs systèmes criminels susceptibles de nous menacer.

Auteur :
Sironi, Françoise
Éditeur :
Paris, La Découverte,
Genre :
Essai
Langue :
français.
Description du livre original :
1 vol. (768 p.)
ISBN :
9782707195074.
Domaine public :
Non
Téléchargement du livre au format PDF pour « Comment devient-on tortionnaire ? »

Table des matières

  • Introduction
    Déconstruire la fabrication du bourreau
    • La dimension géopolitique au cœur de la subjectivité
    • « Avons-nous besoin des psychologues ? »
    • « Une théorie, c’est exactement comme une boîte à outils »
    • Naissance de la psychologie géopolitique clinique
    • Pourquoi « géopolitique » et pourquoi « clinique » ?
    • Émotions politiques et émotions géopolitiques
    • Rhizomes, agencements et devenirs
    • De l’ethnopsychiatrie…
    • … à la psychologie géopolitique clinique
    • Les limites du complémentarisme
    • La dimension intégrative
      de la psychologie géopolitique clinique
    • La multiplicité non fusionnante
    • La pensée complexe
    • Bijections et noces deleuziennes
    • Le contre-transfert, outil de perception
    • Mettre à jour la violence subie par les auteurs de violences
    • La vie psychique de la pensée
    • Les deux lignes de vie
    • Les thèmes abordés avec les accusés
    • L’exploration de la sexualité de l’accusé est-elle nécessaire ?
    • L’analyse multifactorielle
    • La dimension thérapeutique de l’expertise psychologique
    • Le tournage d’un documentaire sur l’accusé
      pendant le procès peut influencer ses réactions psychologiques…
    • Questionner la fiabilité des sources documentaires
      utilisées par les chercheurs
  • Première partie Le parcours de vie d’un auteur de crimes contre l’humanité
    • 1 Face-à-face avec l’accusé
    • 2 On ne naît pas tortionnaire.
      Enfance et jeunesse
      • Se protéger en changeant de nom
      • De Kaing Cheav à Yim Cheav
      • Kaing Guek Eav alias Duch
      • Hang Pin, en Chine
      • « Changer de nom est une bonne chose… »
      • Duch enfant
      • Émergence des affects-pensées
      • Une deuxième naissance
      • Initiation au stoïcisme
      • La frayeur culturelle
      • Son Sen, mentor et initiateur politique
      • La dette morale et la réparation
      • L’engagement communiste
      • La passion pour la raison
    • 3 Tortionnaire en chef à M 13 et S-21
      • Duch à M 13. Le devenir désempathique
      • La théorie de l’enfant glaise
      • Les réunions de vie
      • La délation
      • Duch, décrit par d’autres
      • « J’avais des compétences en matière d’interrogatoire »
      • Une machine de torture et de mort
      • « Écraser »
        • Les interrogatoires
        • Les confessions
        • L’écrasement
      • Zèle, besoin de reconnaissance et peur de la mort
      • L’édification d’un système perpétuel
      • La paranoïa du fondateur qui fait advenir une entité
      • L’Angkar est un égrégore
      • Le « plan final », également appelé « plan ultime »
        ou « dernier plan conjoint »
    • 4 De la chute au born again
      • La fin du régime khmer rouge et de S-21
      • Une période dépressive nourrie de désempathie persistante
      • « Je rumine »
      • Son séjour en Chine (1986-1989)
      • La Realpolitik
      • Prise de distance
      • L’assassinat de son épouse en 1995
        et sa conversion au christianisme en 1996
      • Duch, born again
      • La religion chrétienne, nouvel exosquelette
      • Arrêté après vingt ans de camouflage
      • Pourquoi Duch n’a-t-il pas résisté ?
      • De bons frères, maris et pères…
      • Les remords et son espoir d’acquittement
      • « J’ai des regrets, des remords par rapport à ce que j’ai fait »
      • L’énigme de la volte-face finale
  • Deuxième partie De quoi est fait un tortionnaire en chef ?
    • 5 Le renoncement à une identité singulière
      • Un vécu d’anéantissement et d’annihilation
      • Marquages somato-psychiques précoces
      • Du dénoyautage du sujet à l’exosquelette
      • Du vécu d’impuissance à la toute-puissance
        et à la réparation
      • De l’incapacité à être seul au faux-self
      • Meurtre (ou agonie) psychique
        et renoncement à l’identité
      • L’attribution d’identité par une instance collective
      • L’exosquelette et l’être nouveau
      • Un métis culturel par acculturation géopolitique
        et par mutation sociale
      • La vie psychique de la pensée
        • La période enseignante. L’amour de la connaissance
        • La période communiste. L’amour des idées
        • La période chrétienne. L’amour de Dieu
    • 6 Le façonnage par le stoïcisme et le cynisme
      • Stoïcisme et archéologie de soi
      • La mission divine comme épreuve de soi
      • Les limites du principe de souveraineté chez Duch
      • Ce que penser veut dire pour le stoïcien ou le cynique
      • Du stoïcisme au christianisme
    • 7 La désempathie
      • Genèse de la désempathie chez Duch
      • Pensée opératoire et alexithymie
      • Du rapport entre stoïcisme, alexithymie et désempathie
      • La haine n’est pas nécessaire pour devenir un auteur de crimes contre l’humanité
      • Désempathie et télescopage de l’identité
      • Pour que tuer devienne facile
      • Comment sortir de la désempathie ?
    • 8 La fonction du clivage
      • Mécanismes de défense et mécanismes d’adaptation
      • Le fonctionnement du clivage
      • Clivage et engourdissement psychique
      • Dédoublement du moi ou noyaux psychiques clivés ?
      • Le changement de conscience morale
      • L’identité collective de S-21
      • L’échec du clivage
      • Répétition d’une même figure :
        du clivage à la demande de punition
      • Évolution lente vers une tentative d’unification
        des différentes parties de soi
    • 9 Le déni
      • Déni, mensonge politique et négationnisme
      • Y a-t-il un lien entre la levée du déni et l’aveu ?
      • La genèse du déni dans le parcours de vie de Duch
      • Déni, contre-transfert et déshumanisation
    • 10 La dénégation
      • Les manifestations de la dénégation chez Duch
      • Une plongée dans l’analyse du discours
        • Fragment 1
        • Commentaires
        • Fragment deux
        • Commentaires
        • Fragment trois
        • Fragment quatre
      • Généralisation du triptyque « clivage-déni-dénégation »
        en criminalité politique
    • 11 Autres mécanismes de défense et d’adaptation
      • Une organisation obsessionnelle de l’existence
      • Les limites de la notion de « structure de personnalité »
      • Fonctionnement obsessionnel et impact sur ses rêves
      • Analogies entre Duch et Klaus Barbie
      • La projection identificatoire. Point commun
        entre Duch et Pascal Simbikangwa
        • « Ce qu’a fait mon subordonné n’était pas raisonnable »
        • « Vous auriez pu éviter de punir de façon si extrême »
        • Fier d’avoir entièrement façonné des adolescents
        • « Il nous regardait en train de nous battre »
      • La somatisation
      • Le retournement en son contraire et l’annulation
      • La rationalisation, l’évitement et le déplacement
        • L’évitement du sexuel
      • La répression et le refoulement
      • Des traits schizoïdes
    • 12 Une organisation traumatique de l’existence
      • Acculturation et déculturation traumatiques
      • Les différentes manifestations d’un traumatisme collectif
      • Égrégore
      • « Elle avait l’âme au bout des cheveux »
    • 13 De l’obéissance à la servitude dite volontaire
      • L’obéissance primaire
      • L’obéissance due
      • L’obéissance acceptée
      • Le zèle et la peur
      • La servitude dite volontaire
      • La difficile désidentification
        avec les modèles éducatifs autoritaires
      • Identification à l’effrayeur
        et processus d’intériorisation complète
      • Position sacrificielle du tortionnaire
      • Le poids du facteur culturel et géopolitique
      • L’importance de la relation de patronage
        et de népotisme dans la culture cambodgienne
      • Instrumentalisation du rôle de la religion bouddhiste
      • La résistance psychique à l’obéissance
      • Pourquoi l’argument de l’obéissance aux ordres
        est-il utilisé pour « justifier » le fait d’avoir commis
        des crimes contre l’humanité ?
      • La fusion totalisante
      • Duch, Eichmann et Barbie
      • Arracheurs de secrets
    • 14 Honte, remords et absence de sentiment
      de culpabilité
      • La honte
      • Perdre la face
      • Les remords
      • Le rôle délétère du clivage
      • La manifestation déplacée des remords
      • Comment s’organise l’évitement du sentiment
        de culpabilité ?
      • Une pathologie de la pensée
      • Du remords à l’éprouvé possible du sentiment de culpabilité
      • La demande de pardon
      • Séparer le monde des vivants et des morts
      • Confusion chez Duch entre dispositif religieux
        et dispositif laïc
    • 15 Conscience de ses actes
      et responsabilité individuelle
      • La reconnaissance de ses actes par l’accusé en débat
        au cours de son procès
      • Qu’est-il arrivé à sa conscience ?
      • Responsabilité individuelle versus responsabilité collective
      • Que signifie du point de vue psychologique la reconnaissance
        de ses actes ?
      • L’apport des neurosciences
      • Le transfert de conscience
      • La difficile adaptation au monde de la justice pénale internationale
      • La réparation
      • L’accès à la conscience intégrée
    • 16 L’évolution psychologique de Duch
      • Reviviscence de la peur de la mort
      • Le corps parle
      • Analyse de la production onirique
      • Le rêve de la pastèque
      • Apprentissage émotionnel et décloisonnement psychique
      • Déconstruction progressive de la fabrication khmère rouge intériorisée
      • Évolutions diversifiées
      • À qui demander pardon ?
      • Effets de la synergie des mondes sur Duch
      • Sortie progressive du déni et du clivage
        grâce à la procédure juridique
  • Troisième partie Un homme-système
    • 17 Comment fonctionne un homme-système ?
      • Inconscient géopolitique et désordre type
      • Une co-construction
      • Le renoncement à l’identité singulière
      • La fabrication et l’instrumentalisation
        des émotions politiques
      • « Il n’aurait pas volé une goutte de jus de palmier… »
      • Le reformatage de la pensée
      • Devenir dépendant du jugement de l’autre
      • L’hyperadaptation pour rester tel qu’un autre vous a pensé
      • L’homme-système à l’époque khmère rouge
      • Utilisation de techniques traumatiques
        • La frayeur
        • La présence de la douleur physique
        • La douleur psychique
        • Les inductions paradoxales et l’absurdité logique
      • Acculturation et déculturation
      • Intériorisation de la raison irrationnelle
      • La perversité induite
    • 18 Psychopathologie induite
      par les systèmes criminogènes
      • La psychopathologie des fondateurs et des dirigeants
      • Le rôle de l’inconscient et des émotions géopolitiques
      • Les traumatismes intentionnels
      • Les paranoïas politiquement induites
      • Les schizophrénies et états schizoïdes politiquement induits
      • Les dépressions existentielles
      • Les troubles psychosomatiques
      • Les conduites obsessionnelles politiquement induites
      • La normose ou psychopathologie de la normativité
  • Quatrième partie Une théopathie sacrificielle
    • 19 L’Angkar : une entité qui vient se loger
      au cœur des humains qui la servent
      • Est-ce une personne ? Une chose ? Une force ?
      • Intentionnalité humaine et intentionnalité non humaine
      • Un palimpseste idéologique
      • L’Angkar, un organisateur non humain
      • Un modèle biopsychosocial
      • Les exigences de l’entité « Angkar »
        • L’ostracisme
        • La pureté raciale et révolutionnaire
        • L’ethno-nationalisme
        • La xénophobie
      • Racines historiques et culturelles
      • L’enracinement du communisme
        dans le nationalisme khmer
      • Fiction géopolitique d’une fondation
    • 20 Les moyens pour faire advenir l’entité
      • L’idéologie khmère rouge
      • Idéologie et déculturation
      • Le gouvernement de soi et des autres
      • La transformation du « cru » en « cuit »
      • La vengeance disproportionnée
      • Les sacrifices humains
      • Le tortionnaire et le « thérapeute »
      • Le système perpétuel
      • Le sacrifice total ou l’autodestruction
      • La discipline monastique
  • Conclusion
    Se libérer de la servitude dite volontaire
  • Annexe 1
    La place de l’expertise psychologique
    au sein de la justice pénale internationale
    • La question du temps
    • « Qu’est-il arrivé à votre conscience ? »
    • Quand le « zigzag » de Deleuze inspire la méthode discursive
    • L’empathie comme procédé clinique
    • C’est l’accusé qui est l’expert
    • Les apports d’un entretien seul à seul
    • La dernière rencontre
    • Comparaison avec d’autres expertises psychologiques
    • Les constantes psychologiques retrouvées chez les accusés
      • L’intériorisation de modèles pédagogiques autoritaires
      • Similitudes des mécanismes de défense et présence de la désempathie
      • L’évaluation du déni et de la dénégation
    • « Quel type d’homme est-ce donc ? »
  • Annexe 2
    Y a-t-il des points communs
    entre les auteurs de crimes contre l’humanité
    et les tueurs en série ?
    • L’affaiblissement partiel et l’infléchissement sélectif
      de la conscience morale
    • Transgresser la loi est devenu la loi
    • « N’est pas tueur en série qui veut »
    • Le nombre élevé de crimes facilite leur réitération
    • Le travail psychique du crime
    • Le secret
    • L’existence de critères de sélection
    • La déshumanisation
    • La désempathie
    • La honte… d’avoir été découvert
    • L’organisation traumatique
    • Clivage du moi et clivage de l’objet
    • De l’indifférence à l’« orgie narcissique »
    • Pour tuer, la haine n’est pas nécessaire
    • La recherche de l’anonymat
    • La reconnaissance des crimes commis
    • La certitude de l’impunité
    • Les mécanismes adaptatifs
    • Les différences
  • Annexe 3
    La fabrication de l’homme nouveau khmer rouge
    et djihadiste
    • L’importance du facteur géopolitique « glocal »
    • Dimension globale
    • Mensonge politique et mystification de la fondation
    • Le goût pour le secret et les changements de nom
      des fondateurs
    • L’usage de la terreur
    • Le façonnage et l’instrumentalisation des émotions politiques
      et géopolitiques.
    • L’invention d’une novlangue
    • Le recrutement d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes
    • Initiation traumatique et transformation (instrumentalisation)
      de l’inconscient géopolitique
    • Phase 1 : valorisation de l’identité initiale
    • Phase 2 : déconstruction brutale et traumatique
      de l’identité initiale
    • Phase 3 : attribution de la nouvelle identité
      de type sacrificiel
    • L’homme-système
    • Une théopathie sacrificielle
  • Bibliographie
  • Webographie
  • Films documentaires

Commentaires

Laisser un commentaire sur ce livre