Coup de cœur

Une mystérieuse narratrice nous raconte l’histoire de « Nafar », un jeune syrien qui essaie de gagner l’Europe via la Grèce. Nafar ce n’est pas son prénom. En arabe classique, ça désignait celui qui a quitté sa patrie, mais dans la bouche des passeurs turcs c’est devenu un terme méprisant, un nafar n’est rien d’autre qu’une marchandise, et les migrants eux-mêmes se sont appropriés ce mot pour dénoncer leur condition. Mathilde Chapuis a vécu à Istanbul de 2013 à 2015, elle s’est inspirée de ce qu’elle a observé pour écrire son livre dont le fil rouge est la traversée du fleuve Meriç., trajet emprunté par ceux qui n’ont pas d’autre choix que de fuir la dictature de Bachar el-Assad. Au début on s’interroge, on se demande qui parle et à qui s’adresse ce tu familier, puis on passe au je et le récit devient plus clair. La romancière ne se contente pas d’évoquer l’arrachement violent au pays, les tentatives de traversée qui échouent et l’attente interminable. Elle raconte aussi les souvenirs heureux et les bons moments passés à Homs la ville natale du personnage. Elle évoque les relations entre exilés et autochtones, rendues encore plus difficiles par la barrière de la langue, ce qui aboutit parfois à un sabir savoureux ! La présence d’un peu de vocabulaire local achève de nous mettre dans l’ambiance. Malgré la gravité du sujet le ton est presque léger. Premier roman très réussi pour Mathilde Chapuis qui a su redonner une existence et un visage humain à tous ces Nafar. (A.P.)