Di(s)gressions : conversations avec Stéphane Lambert Micheline Presle

Résumé

" Je suis une rêveuse. " Tel pourrait bien être le fil conducteur du parcours de Micheline Presle. Elle fait sa première apparition devant la caméra à l'âge de quinze ans au côté de Charles Trenet. Avant la guerre, elle tourne ses deux premiers films en vedette, sous la direction de G.W. Pabst et Abel Gance : sa carrière est lancée. Dans les années quarante, de Falbalas au Diable au corps, elle devient l'une des actrices préférées du public, avant qu'un amour ne l'entraîne brusquement à Hollywood. À son retour en France, au début des années cinquante, sa carrière semble brisée. Cette cassure va pourtant marquer l'impulsion d'un nouvel élan : tourner la page du cinéma d'antan. Guidée par une insatiable curiosité, Micheline Presle est sollicitée par une nouvelle génération de réalisateurs, redevient l'une des comédiennes les plus populaires grâce aux Saintes chéries, alterne au théâtre succès et spectacles plus en marge avec Jean-Michel Ribes et Jérôme Savary, fréquente assidûment les salles obscures en perpétuelle quête de découvertes et communique à sa fille, Tonie Marshall, la fibre du cinéma. Cette conversation menée en zigzag, comme une constante digression, retrace le chemin atypique d'une actrice, couronnée par un César d'honneur en 2004, qui a traversé les époques sans jamais se quitter. Ce livre, né de la rencontre amicale avec un jeune écrivain, n'a d'autre prétention que de ressembler à celle qui y a imprimé sa voix.

Auteur :
Presle, Micheline (1922-....)
Auteur :
Lambert, Stéphane (1974-....)
Éditeur :
Paris, Stock,
Genre :
Mémoires, souvenirs
Langue :
français.
Mots-clés :
Nom de personne :
Presle Micheline 1922-.... -- Entretiens
Description du livre original :
1 vol. (195 p.-[16] p. de pl.) : ill., couv. ill. ; 22 cm
ISBN :
9782234059504.
Domaine public :
Non
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Table des matières

  • AVANT-PROPOS
  • I Cachée dans la lumière
    • Je sais que vous n'aimez pas vous prêter au genre des interviews questions-réponses.
    • Vous préférez les détours que peut offrir une conversation aux entretiens du genre interrogatoire.
    • Vous êtes une adepte de la digression.
    • J'ai l'impression que le « s » crée une rupture comme dans dis-jonction. Mais dans di-gression, le « s » du préfixe est tombé comme dans di-version. Savez-vous que digredi en latin signifie « s'écarter du chemin » ?
    • On va revenir sur votre parcours, mais cela ne sera pas facile avec vous : vous n'aimez pas la nostalgie.
    • « Disgression », cela ressemble à « discrétion ». Je me demandais si vous ne faisiez pas des digressions par pudeur.
    • Vous avez dit que votre paradoxe de comédienne, c'était d'être timide.
    • Et donc, là, vous n'avez pas eu le trac pour chanter ?
    • Vous n'aimez pas parler de vous. Et c'est votre métier de comédienne qui vous protège ?
    • Ce n'est pas vous, vous vous sentez à l'abri derrière le personnage.
    • Quand on est timide, c'est pratique d'être connue. Ce sont les autres qui viennent à vous.
    • Mais vous n'aimez toujours pas parler de vous.
    • Cela peut-il provenir du silence que vous avez dû entretenir au sujet de votre père lorsqu'il est parti aux États-Unis après avoir été mêlé à un scandale financier ?
    • Acteur, ce n'est pas un métier, c'est une passion pour vous.
    • C'est un métier de vulnérabilité, celui d'acteur.
    • Vous lui donnez quand même votre identité physique.
    • Guitry, avec qui vous avez tourné dans Si Versailles m'était conté, a dit de vous que vous ressembliez à un modèle des tableaux de La Tour. Cela correspond assez bien à ce jeu de cache-cache entre ombre et lumière.
  • II Mon Luxembourg
    • Il y a quelque chose d'immuable dans ce parc qui vous relie à l'imaginaire de votre enfance. Vous y allez encore souvent ?
    • Un parc, c'est un lieu à la fois dans la ville et tout à coup hors de la ville.
    • Je crois que vous fréquentiez aussi le Jardin des Plantes.
    • Vous avez dû adorer King Kong. Vous l'aviez déjà vu à l'époque ?
    • Avec le Jardin des Plantes et le Luxembourg, vous restez surtout sur la rive gauche...
    • Longtemps le cinéma à Paris a été localisé sur les Champs-Élysées.
    • Dans vos films, y a-t-il des scènes qui se passent dans un lieu mythique à Paris ?
    • Ah oui, c'est la fameuse scène où vous avez un malaise.
    • Et vous avez vraiment tourné au Harry's Bar ?
    • Y avait-il des studios légendaires à Paris comme l'ont été à Rome ceux de Cinecittà ?
    • Quelle relation avez-vous aujourd'hui avec Paris, votre Paris ?
  • III « J'aurais adoré être explorateur »
    • Les images jouent un rôle très important dans votre vie, dans la mémorisation de ce que vous avez vécu.
    • Vous avez souvent dit que vous étiez une « regardeuse ».
    • On retrouve cette curiosité dans votre passion du cinéma.
    • En quelque sorte vous avez été une exploratrice dans votre domaine.
    • Vous êtes une actrice paradoxale. Le public a de vous une image plutôt gaie, cela doit venir des Saintes Chéries. Mais si l'on regarde votre filmographie, vous avez souvent tourné des histoires dramatiques.
    • C'est ce que soulignent les critiques à votre propos : cette capacité à mettre de la gravité dans la légèreté, et l'inverse. Vous ne jouez pas sur une seule corde.
    • L'amitié a aussi joué un rôle dans cette exploration d'autres univers.
    • Il y avait déjà dans votre milieu familial un intérêt pour l'art. Votre mère était peintre.
    • Vous avez eu la chance de rencontrer, enfant, de vrais explorateurs, des aviateurs...
    • C'était un milieu très fertile pour l'imagination.
    • Et vous lisiez des récits d'aventures ?
    • Et les bandes dessinées ?
    • Comme vous avez débuté très jeune, vous êtes tout de suite passée de l'imaginaire de l'enfance à celui du cinéma.
    • Cela ressemblait un peu à votre histoire.
    • Paradis perdu a été un grand succès et votre carrière était lancée. Mais au même moment la guerre commençait.
    • Par contre, vous avez tourné d'autres films avec Marcel L'Herbier.
    • Avez-vous le souvenir de rencontres marquantes avec des personnalités qui vous ont ouvert de nouveaux horizons ?
    • Et des rencontres marquantes avec certains livres ?
    • Dans votre enfance, vous passiez vos vacances chez votre grand-mère à la campagne, à Noyers-sur-Serein. Quels souvenirs en gardez-vous ?
    • Vous vivez beaucoup dans un monde parallèle.
    • Et vous vous souvenez d'une ambiance en particulier ?
  • IV « Ma plus belle histoire,
    c'est le cinéma »
    • Lorsque vous avez reçu en 2004 un César d'honneur, vous avez déclaré : « Ma plus belle histoire, c'est le cinéma. » C'est votre fil conducteur.
    • Ce César d'honneur vous a été remis par Fabrice Luchini.
    • Vous êtes une fidèle spectatrice de la séance de 14 heures.
    • Pourtant la séance de 14 heures est quand même la séance idéale.
    • Aller au cinéma dans l'après-midi, c'était une manière de vous affranchir ?
    • La culpabilité par rapport au cinéma vient aussi, je crois, de votre instruction religieuse.
    • Oui, phonétiquement, c'est plus explicite que sexualité.
    • Votre famille n'était pas aussi dogmatique.
    • Et par la suite, vous avez porté le voile dans La Religieuse de Rivette.
    • Vous avez plutôt un tempérament ludique. Et vous avez toujours aimé jouer la comédie ?
    • Vous êtes un cas à part dans le cinéma français. D'ailleurs, carrière, on ne peut pas dire que ce mot vous soit familier...
    • C'est vous qui aviez proposé Gérard Philipe pour Le Diable au corps.
    • C'était l'époque où le cinéma français était à Cannes.
    • Parlons un peu du Diable au corps, votre « carte de visite » comme vous dites. Bien que le film ait fait scandale, il a obtenu le prix de la critique cinématographique internationale au Festival de Bruxelles en 1947 et il a été couvert d'éloges. Je vous en cite quelques-uns, signés par des grands noms. Roger Vailland : « Tout comme le roman, le film a du style. » François Mauriac : « Excellents comédiens, Mlle Micheline Presle et M. Gérard Philipe ont atteint [...] une humanité dont nous n'avions jamais vu à l'écran d'images plus saisissantes. » François Nourissier : « Je ne me souviens pas, dans le cinéma français des dernières années, d'un visage de femme aussi humain depuis la Micheline Presle du Diable au corps. » Ou évidemment Jean Cocteau : « Micheline Presle et Gérard Philipe resteront dans le souvenir de tous. » Cocteau, c'est lui qui vous a fait découvrir le roman de Radiguet.
    • En côtoyant Cocteau, vous vous rendiez compte du côté extraordinaire de ce que vous viviez ?
    • Pour revenir au Diable au corps, expliquez-moi comment est né ce projet d'adaptation.
    • Et quand est intervenu le choix de Gérard Philipe ?
    • Et quand avez-vous rencontré Gérard Philipe pour la première fois ?
    • Après Le Diable au corps, vous avez à nouveau tourné avec Gérard Philipe dans une comédie, Tous les chemins mènent à Rome.
    • Vous avez dit que vous avez éprouvé pour Gérard Philipe un sentiment amoureux.
    • Mais avez-vous été amis ?
    • Gérard Philipe et vous avez reçu une Victoire du cinéma français – l'équivalent des César à l'époque – pour vos interprétations dans Le Diable au corps. Un prix qui vous été remis par Orson Welles....
    • Au cinéma comme au théâtre, vous avez souvent été à l'origine de projets.
    • Il y a une dizaine d'années, vous avez été à l'initiative d'un téléfilm, Madame Dubois, Hôtel Bellevue.
    • Vous avez été nominée en 1989 pour le César du meilleur second rôle féminin pour votre interprétation dans I want to go home d'Alain Resnais.
    • À propos d'écrivain, vous avez inspiré un personnage à Raymond Queneau...
    • À propos de votre nom justement, certains l'écrivent avec un « s » au bout. Peut-être est-ce le même que vous placez dans « disgression » ?
    • À la fin des années 1940, vous êtes partie à Hollywood. On peut dire que ce départ a complètement bouleversé votre parcours d'actrice.
    • Pourtant, si le film ne vous a pas laissé un souvenir impérissable, moi je vous ai trouvée à la hauteur.
    • Ce qui est paradoxal au bout du compte, c'est que, sans être carriériste, vous êtes une des rares stars des années 1940 à avoir eu une telle carrière. Quand on voit votre parcours, qu'on lit votre filmographie, il y a de quoi être impressionné.
    • Mais combien de vedettes des années 1940 sont complètement tombées dans l'oubli ! Peu d'acteurs et d'actrices ont une carrière si longue et si remplie que la vôtre. Vous avez démarré en 1937, et ça n'est pas fini...
    • Ce que je veux dire aussi, c'est que cette rupture dans votre carrière vous a, involontairement, permis de ne pas être complètement assimilée au cinéma des années 1940, de passer à autre chose.
    • Le retour de Michèle Morgan des États-Unis s'est passé différemment du vôtre.
    • Ce n'est pas votre image qui vous a guidée dans vos choix.
    • On ne peut pas dire que vous faites des choix pour vous « fabriquer » une filmographie.
    • Et y a-t-il des films que vous avez refusés et que vous regrettez de ne pas avoir faits ?
    • Et y a-t-il d'autres personnages que vous aimeriez encore incarner ?
    • Finalement, le film Le Rouge et le Noir d'Autant-Lara s'est fait...
    • Danielle Darrieux a aussi joué le rôle de la comtesse Anna Staviska dans L'Affaire Cicéron de Mankiewicz, un rôle qui vous était attribué au départ. C'est une actrice qui a eu un parcours parallèle au vôtre.
    • Et est-ce simple d'être amie avec une autre comédienne ?
    • Vous vous êtes retrouvées au cinéma en 1991 dans Le Jour des rois. Vous y jouiez des sœurs. Il y avait clairement un clin d'œil de la part de la réalisatrice, Marie-Claire Treilhou, à vos carrières parallèles. D'ailleurs dans le film, le personnage de Danielle Darrieux dit à propos de votre personnage qui a une forte tête : « Elle a le diable au corps. »
    • Y a-t-il d'autres actrices pour lesquelles vous avez une sympathie particulière ?
    • Quand on vous propose un film ou une pièce, vous demandez toujours quel(le)s seront vos partenaires.
    • Avec une telle passion pour le cinéma, vous n'avez jamais eu envie de réaliser vous-même un film ?
    • Vous m'intriguez. Quelle est l'histoire de cette nouvelle ?
    • Prêtez-vous une attention particulière à la mise en scène au moment du tournage ?
    • Comme vous l'avez dit, vous vous êtes tout de suite intéressée au renouveau du cinéma. La nouvelle vague a été un virage que vous avez pris tout naturellement.
    • Je sais que Truffaut avait pleuré quand il avait vu Paradis perdu. C'est étrange que vos chemins ne se soient pas croisés au cinéma.
    • Vous étiez dans le jury l'année des Quatre Cents Coups à Cannes.
    • Et si on parlait à présent un peu de Godard.
    • Vous n'êtes pas restée attachée au cinéma d'avant comme certains acteurs.
    • Le cinéma de Grémillon est aussi intemporel. Vous avez tourné dans son dernier film, L'Amour d'une femme.
    • Il y a aussi eu l'âge d'or du cinéma américain.
    • Quand il n'y avait pas de télévision, le cinéma était au cœur de la société.
    • Pour revenir au cinéma, à cette période de renouveau, vous avez tourné avec Joseph Losey dans Blind Date (en français L'Enquête de l'inspecteur Morgan). C'était un scénario et un rôle hitchcockiens. Celui d'une bourgeoise qui manigance un crime de manière très sophistiquée. J'imagine que vous auriez aimé tourner avec Hitchcock.
    • Votre premier fiancé, Louis Jourdan, qui est l'un des rares Français à avoir réussi une carrière à Hollywood, a tourné, lui, avec Hitchcock.
    • Avec Losey, n'avez-vous pas eu un autre projet ?
    • Oui, elle en a d'ailleurs fait un enregistrement sonore. Dans Blind Date, vous aviez comme partenaire Hardy Krüger.
    • Enfant, vous adoriez vous déguiser. Au cinéma, vous accordez une grande importance au costume.
    • Et vous faites ce choix en consultation avec le metteur en scène ?
    • Vous avez aussi tourné avec Chabrol acteur.
    • C'était un rôle assez court, le costume avait aussi son importance : vous aviez une allure de danseuse de flamenco distinguée.
    • Vous avez tourné à deux reprises avec Jacques Demy : dans Peau d'Âne et dans L'Événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune. Votre amitié est née de la découverte de son cinéma.
    • Jacques Demy vous avait proposé le rôle de la mère de Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg.
    • Ah oui, avec Paul Newman ! ?
    • Vous avez tourné avec Catherine Deneuve à ses tout débuts.
    • Et vous l'avez retrouvée dans les deux films de Jacques Demy.
    • Vous avez vu débuter une autre grande star du cinéma français : Alain Delon. C'était dans Christine de Pierre Gaspard-Huit.
    • On en revient à votre manière de regarder.
    • Donc quand vous avez tourné Christine – c'est d'ailleurs pendant ce tournage que l'idylle entre Alain Delon et Romy Schneider a commencé –, vous avez retrouvé le jeune inconnu du hall du Martinez.
    • Cela lui donne un côté fragile, loyal.
    • En 1955, le film Treize à table marque les débuts au cinéma, à vos côtés, d'une jeune sociétaire de la Comédie-Française...
    • Vous avez aussi tourné au début des années 1960 un film allemand, Herrin der Welt.
    • Et vous aviez tourné ce film en allemand ?
    • Les films que vous avez faits en Italie, vous les avez aussi tournés en français ?
    • Il doit souvent y avoir des surprises entre le projet initial et le film réalisé, des déceptions peut-être.
    • Parmi les déceptions d'une actrice, il y a aussi les rôles qu'on ne vous a pas proposés... ?
    • Vous avez tourné avec Gabin dans Le Baron de l'écluse, d'après une nouvelle de Simenon. Il vous y appelait « ma petite perle », ça fait un peu clin d'œil : « perle », « Presle »... Le connaissiez-vous alors ?
    • Il a aussi connu comme vous un creux de la vague à son retour d'Amérique.
    • Et c'est Marcello Pagliero qui a été engagé.
    • À propos de Marcello, revenons à votre rencontre cinématographique avec Marcello Mastroianni.
    • L'Assassino c'était en 1961, mais vous aviez déjà tourné un film ensemble avant.
    • Difficile de ne pas évoquer Claude Piéplu avec qui vous avez véritablement formé un couple de cinéma. Vous vous étiez d'abord croisés en 1962 dans un sketch du Diable et les dix commandements.
    • Votre couple de cinéma est né dans Beau temps, mais orageux en fin de journée de Gérard Frot-Coutaz.
    • Vous vous connaissiez déjà auparavant ?
    • Vous avez toujours joué ensemble des couples décalés.
    • Vous avez tourné deux films avec Jeanne Moreau et, dans ces deux films, vous jouez des sœurs. Dans Les Louves, en 1957, vous la tuez, et, dans Je m'appelle Victor, en 1992, vous essayez de la tuer...
    • Je m'appelle Victor est un film d'un tout autre genre, une sorte de conte contemporain qui met en scène une étrange famille. Votre mari, interprété par Julien Guiomar, élève des crocodiles à la cave. Jeanne Moreau vit recluse à l'étage. Et il y a ce petit garçon qui s'approprie son histoire. Votre personnage, lui, est assez dur.
    • Vous cultivez les paradoxes, et dans la vie, et dans vos rôles.
    • Avez-vous le souvenir d'un tournage difficile ?
    • Le film a obtenu le prix Jean Vigo en 1979. On ne peut pas terminer ce chapitre sur le cinéma sans parler de votre amitié avec Jacques Davila.
  • V Le rythme de l'Amérique
    • Quand vous étiez en Amérique avec Bill Marshall, vous viviez à Hollywood ?
    • À l'époque de l'exode ?
    • Lorsque vous viviez en Amérique, c'était quand même encore l'âge d'or. Vous avez dû rencontrer tout l'Olympe !
    • Hardy ! C'est presque comme si vous aviez vu en vrai Tom de Tom & Jerry  !
    • Et l'avez-vous rencontré par la suite ?
    • Et Marilyn Monroe, l'avez-vous rencontrée aussi au cours d'un dîner ?
    • Comme dans Ève, Anne Baxter était une peste...
    • Parlons quand même des films que vous avez tournés là-bas. Notamment American Guerilla in the Philippines, un film de Fritz Lang.
    • Et vous n'avez pas eu une seule proposition intéressante pendant votre séjour ?
    • La littérature américaine a beaucoup compté pour vous.
    • J'ai vu dans votre bibliothèque Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, un livre culte.
    • John Huston en a fait un film.
    • Avez-vous connu des auteurs américains ?
    • Vous avez certainement vu le film avec Richard Burton et Élisabeth Taylor.
    • L'ancrage américain a eu une influence dans votre propre vie. Il y a évidemment eu l'épisode important de votre mariage avec Bill Marshall. Mais votre père aussi s'était installé aux États-Unis. Et quand vous vous êtes revus à New York, vous êtes allés voir ensemble Le Diable au corps.
    • Votre frère, lui, s'est installé aux États-Unis. Le côté masculin de la famille est passé de l'autre côté de l'Atlantique, tandis que le côté féminin est resté en Europe.
    • Vous avez fait un voyage Unifrance à New York en 1957.
    • Et de ce voyage, y a-t-il une image qui vous reste plus particulièrement ?
    • Vous m'avez souvent parlé de votre goût pour le jazz et la musique américaine.
    • J'ai l'impression que vous êtes très française mais que vous avez un lien privilégié avec la culture américaine.
  • VI Les feux de la rampe
    • Je ne peux pas résister au plaisir de citer ces mots de Michel Cournot à votre propos, résumant très justement votre travail de comédienne : « Elle ne tire pas la couverture. Elle ne prépare pas les bravos, en fin de tirade. Elle est une nature libre, franche, par qui le théâtre existe en pleine clarté. Elle arrive, fait le travail, bonjour bonsoir, cachant passion et métier sous un charme désinvolte, et elle a tout simplement mis dans la main de l'auteur comme dans celle de chaque spectateur tous les atouts. C'est bien, une grande comédienne. Ça ne fait pas de bruit. Ça ne prend pas de place. »
    • Vous avez joué Feydeau à plusieurs reprises.
    • C'était en 1954.
    • Vous avez aussi joué La Puce à l'oreille.
    • Vous avez des souvenirs de trous de mémoire sur scène ?
    • Un trou de mémoire sur une carrière, c'est pas énorme...
    • Connaissiez-vous déjà Poiret et Serrault avant de jouer avec eux ?
    • Et avec Feydeau, vous avez aussi pleuré ?
    • L'absurde fait partie de votre univers.
    • À propos de Clouzot, je crois que vous avez eu un projet avec lui.
    • Vous avez succédé à Ingrid Bergman dans la pièce Thé et sympathie de Robert Anderson. C'était en 1957-1958.
    • Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault vous ont proposé La Vie parisienne d'Offenbach.
    • Et cela vous aurait-il plu de jouer dans une comédie musicale comme à Broadway ?
    • Y a-t-il des projets théâtraux que vous avez dû refuser avec regret ?
    • Vous avez fait une grande tournée avec Jean-Michel Ribes. Une vraie tournée internationale... hors des sentiers battus.
    • J'ai l'impression que ce type d'aventure vous correspond bien.
    • Pas de routine. De nouvelles expériences. L'aventure, c'est là votre moteur.
    • L'été 1967, vous avez initié un festival à Châteauvallon avec votre compagnon François Arnal.
    • Votre père ne vous emmenait pas au théâtre mais au music-hall.
    • N'est-ce pas ce goût du music-hall qui vous a poussée vers des expériences un peu décalées ?
    • Etdescabarets-spectacles comme Chez Michou ?
    • Dans les années 1970, c'était la grande période du café-théâtre.
    • Vous avez souvent chanté dans vos films, depuis vos débuts.
    • Je suis obligé de vous contredire. Dans Jeunes filles en détresse, il y a la fameuse chanson de la « Licodipa » (la Ligue contre le divorce des parents). Puis vous avez interprété la chanson de Paradis perdu. Dans Félicie Nanteuil, vous chantez une vieille chanson de Delmet sur Gavroche. Puis la chanson que vous a écrite Bill Marshall pour Tous les chemins mènent à Rome. Et dans Les Pétroleuses, la chanson de Francis Lai : « La vie parisienne »...
    • Vous interprétez une chanteuse de cabaret dans La Belle de Paris et dans Les Impures. Et tout de même, dans Le Roi de cœur, l'un de vos films préférés, vous chantez.
    • Dans Le Jour des rois, vous jouez deux personnages, deux sœurs, dont l'une chante.
    • Avec Piéplu, vous interprétez un tonitruant « New York, New York » dans Fallait pas !
    • Et pour couronner le tout, votre premier film, c'est Je chante avec Charles Trenet dans le rôle principal.
    • Et d'où vient ce pseudonyme de Presle ?
    • Par la suite, Trenet est devenu le chanteur français du XXe siècle.
    • Vous avez connu à ses débuts Serge Reggiani qui s'est lancé très tard, avec succès, dans la chanson. Ça vous aurait plu de devenir chanteuse ?
    • Au début des années 1940, vous avez tourné un film avec un chanteur de charme, Tino Rossi, Le soleil a toujours raison.
    • Dans la chanson française y a-t-il des artistes qui vous ont particulièrement impressionnée ?
    • Et on n'a pas encore parlé de Johnny Hallyday...
  • VII Les choses de la vie
    • Vous l'avez rencontré, le général de Gaulle ?
    • Ah vous avez reçu la Légion d'honneur !
    • Vous avez traversé des époques. Comment percevez-vous celle d'aujourd'hui ?
    • Vous avez un rapport compliqué avec l'argent.
    • L'argent vous joue-t-il des tours ?
    • Par bonheur, dans votre métier, vous avez un agent qui négocie vos cachets...
    • Il y a toujours un processus qui se met en place en vous presque à votre insu comme une réflexion en sourdine qui, tout à coup, refait surface.
    • Vous devez avoir un inconscient solidaire de votre conscience : apparemment pas de conflit entre eux.
    • Votre immeuble et votre rue sont très cinématographiques. Depuis que nous faisons ces entretiens, j'y ai déjà croisé au moins trois tournages.
    • Vous avez incarné l'image de la femme moderne à l'époque des Saintes Chéries.
    • Vous êtes moins intéressée par l'outil que par ce à quoi il va servir.
    • Oui, oui, avec les objets on ne parlemente pas. S'ils sont récalcitrants, il n'y a rien à attendre d'eux...
    • Et pourtant vous êtes une grande collectionneuse.
    • Difficile de ne pas parler de télévision avec vous, on pense forcément aux Saintes Chéries.
    • Je crois savoir que Françoise Sagan suivait la série.
    • C'était réalisé par Jean Becker, le fils de Jacques, il y avait une sorte de continuité.
    • Ève, c'était votre personnage ?
    • C'était un peu godardien.
    • C'était diffusé le samedi soir. Et on peut dire que c'est devenu une vraie série culte.
    • C'est vous qui avez décidé d'arrêter la série ?
    • Aujourd'hui que regardez-vous à la télévision ?
    • Parlons un peu de votre rapport à la mode. L'un de vos films emblématiques, c'est Falbalas de Jacques Becker qui se passe dans le milieu de la haute couture parisienne dans les années 1940. Vous y retrouviez d'ailleurs Raymond Rouleau chez qui vous aviez débuté.
    • Aujourd'hui, c'est devenu un classique. Ce film est même à l'origine de la vocation d'un grand couturier.
    • C'est lui qui a fait votre robe pour le César d'honneur.
    • Dans les années 1940 et 1950, vous étiez déjà une actrice habillée par des grands couturiers.
    • Vous avez signé le « Manifeste des 343 », en faveur de la dépénalisation de l'avortement.
    • C'étaient des intellectuelles, des actrices, des écrivaines...
    • Il faut répéter que ce n'était pas une pétition comme les autres, les signataires s'engageaient totalement dans ce manifeste puisqu'elles révélaient en signant qu'elles s'étaient fait avorter et par là même elles se mettaient dans l'illégalité.
    • Ce qui est marquant dans votre vie, c'est le rôle prépondérant qu'a joué l'amitié, et plus particulièrement l'amitié avec des hommes. Parfois il s'agissait d'amitié amoureuse.
    • Dans ces amitiés il n'y a pas l'enjeu de la séduction...
    • Vous ne cultivez pas les regrets. Vous n'avez pas tendance à vous appesantir sur ce qui n'est pas arrivé mais qui aurait pu arriver.
    • Lorsque votre maison de Corse a été plastiquée (elle contenait beaucoup de souvenirs), votre réaction a été très surprenante. Une partie de votre passé disparaissait brutalement : vous avez tourné la page apparemment sans regret, vous êtes passée à autre chose.
    • Au fond, vous avez raison, vous ne vous embarrassez pas de regrets : ce qui est fait est fait.
    • Les faits divers vous passionnent.
    • C'était la première fois que vous assistiez à un procès d'assises ?
    • Marguerite Duras disait qu'un crime était plus signé qu'un livre. L'auteur du crime est totalement dans son crime, sa vie bascule complètement.
    • Ce qui doit vous plaire dans les faits divers, c'est leur dimension tragique.
    • L'histoire de ces femmes vous fascine : elles ont franchi une frontière. À leur différence, il y a chez vous un fort instinct de survie.
  • VIII Ma fille, ce héros
    • Votre fille a représenté un tournant très important dans votre vie.
    • Est-ce que votre cinéphilie a eu une influence sur sa vocation de réalisatrice ?
    • Cela signifie que vous avez eu des rapports conflictuels à certains moments ?
    • Quand vous dites que ç'a été dur pour vous, vous voulez dire en tant que mère mais aussi en tant que comédienne.
    • Vous a-t-elle fait lire son premier scénario, Pentimento  ?
    • En devenant réalisatrice, elle s'affranchissait totalement de vous.
    • Elle vous a rendu un hommage émouvant lorsqu'elle a reçu ses César pour Vénus beauté (institut). C'était sa victoire, et c'était la vôtre en même temps. Depuis ses débuts, elle vous a offert plusieurs rôles dans ses films.
    • Et il faut mettre à l'actif de votre fille qu'elle a écrit de très beaux rôles pour les femmes.
    • Quand Tonie était enfant, vous avez toujours voulu être présente.
    • Et Tonie ne vous accompagnait pas dans ces voyages ?
    • Cela arrive-t-il aujourd'hui qu'on vous arrête dans la rue et qu'on vous demande si vous êtes la mère de Tonie Marshall ?
  • IX « Je ne me suis pas quittée  »
    • Vous avez toujours été une femme indépendante.
    • Pourtant vous les avez quittés.
    • Vous vous préservez...
    • Ces décisions à retardement n'appartiennent qu'à vous.
    • Vous avez un caractère fort !
    • Cette petite lumière était présente très tôt parce que vous avez su très jeune dans quelle direction aller.
    • En somme vous fabriquez du présent en permanence.
    • Vous avez toujours eu cette disponibilité ?
    • Vous disiez à propos de l'amour quelque chose d'assez dur, par rapport à vous-même : vous vouliez qu'il fût la grande affaire de votre vie et ç'a été la plus mauvaise...
    • Vous avez vécu l'amour de manière trop aliénante ?
    • Avant de connaître Bill Marshall, vous aviez été mariée une première fois.
    • Donc quand vous avez rencontré Bill Marshall, vous étiez encore mariée avec Michel Lefort.
    • À vos débuts, vous avez été fiancée à Louis Jourdan.
    • Et c'est vous qui avez rompu vos fiançailles ?
    • Pourtant vous avez encore tourné des films ensemble après votre rupture.
    • Quand on voit votre visage apparaissant furtivement dans Je chante en 1937 et la manière dont vous me regardez aujourd'hui, il y a, dans votre physionomie, une constante.
    • Et à vos rêves il n'y a pas eu d'accrocs ?
    • Vous n'avez plus revu Jacques Becker après votre retour ?
    • Mais comment faisiez-vous en vivant avec lui pour garder une certaine liberté de comédienne ?
    • Au début des années 1980, vous avez fait une grave dépression.
    • C'était une expérience très physique ?
    • Cette dépression était certainement le fruit d'une accumulation de choses ?
    • Et pendant cette période, vous avez pu travailler ?
    • Je vous ai entendue citer cette phrase dans une interview : « Je suis entrée dans la vieillesse par distraction. »
    • Est-ce que vieillir c'est renoncer ?
    • La vieillesse ne semble pas être un phénomène qui vous concerne.
    • Vous n'avez pas de croyances ?
    • En somme vous ne vous êtes jamais reposée sur vos lauriers.
    • C'est un peu l'histoire de votre connivence avec la vie.
  • Table

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